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Un service public sous leadership féminin ?

<p>Un service public sous leadership féminin ?</p>
Par Anne Righini
12.09.2025

Des bancs des universités aux postes de magistrats, d’institutrices, de professeures agrégées ou de médecins, les femmes ont conquis un espace éducatif et professionnel qui semblait, il y a encore quelques décennies, réservé aux hommes. Les données récentes (de 2021 à 2024) montrent une tendance de fond : dans plusieurs secteurs stratégiques - justice, médecine, enseignement primaire et secondaire - la réussite féminine devient une norme. Une transformation silencieuse, mais décisive, qui redessine en profondeur les contours du monde académique et professionnel.

La magistrature : une féminisation confirmée

Entre 2022 et 2024, les concours de l’École nationale de la magistrature (ENM) confirment une tendance de fond : la magistrature française est désormais largement féminisée dès l’entrée en formation.

Au 1er concours, qui constitue la voie principale d’accès, les femmes représentent une écrasante majorité des candidats inscrits : environ 79 % en 2022 et 2023, et 82 % en 2024. Du côté des admis, la proportion reste très élevée : 78 % en 2022, 76 % en 2023 et 73 % en 2024. Ces chiffres, issus des profils de promotion publiés par l’ENM, traduisent une dynamique stable depuis plusieurs années.

Cette présence massive des femmes dans la magistrature illustre un basculement silencieux mais décisif : les métiers de procureurs et juges du siège, longtemps perçus comme un "bastion" masculin, seront désormais majoritairement exercé par des femmes. Pour des raisons de générations, ceci n’est pas encore complètement visible chez les hauts magistrats (Présidents de Cour d’Appel et Procureur Généraux), mais l’évolution est inéluctable.

Source : profil des promotions ENM 2022 à 2024 (documents institutionnels)

En médecine, une première année très féminisée

L’accès aux études de santé illustre un autre visage de la féminisation de l’enseignement supérieur. En première année de médecine (PASS ou Licence Accès Santé), les femmes représentent environ 70 % des inscrits depuis 2021, une proportion qui se maintient de manière stable jusqu’à la rentrée 2023–2024.

Cette forte présence féminine s’accompagne de nuances dans les parcours. Si les hommes réussissent légèrement mieux que les femmes en première année - une tendance déjà observée avant la réforme - la situation s’équilibre ensuite. En effet, parmi les étudiants admis en deuxième année MMOPK, les femmes affichent des taux de réussite supérieurs de deux points à ceux des hommes (87 % contre 85 %).

Ce constat confirme que la féminisation des professions médicales n’est plus une perspective mais une réalité. Loin d’être marginale, cette évolution transforme progressivement le visage de la médecine en France et ouvre la voie à un renouvellement des représentations et des équilibres de genre dans un secteur essentiel.

Source : note du SIES 23.08 / Première année du premier cycle d’études de santé : évolution des parcours et de la réussite des étudiants

L’enseignement primaire : une profession au féminin

Dans le premier degré, la féminisation est une réalité ancienne, qui se confirme année après année. Entre 2022 et 2024, la proportion de femmes parmi les professeurs des écoles reste très élevée et stable, oscillant entre 85 % et 87 % selon les statistiques de la DEPP et l’INSEE. Cette continuité fait de l’enseignement primaire l’un des secteurs les plus féminisés de la fonction publique.

Au-delà des chiffres, cette réalité souligne le rôle décisif joué par les femmes dans la formation des générations futures, car les professeurs des écoles incarnent le socle éducatif sur lequel repose l’égalité des chances... Une concentration féminine qui interroge néanmoins sur la place des hommes dans ce champ professionnel, mais aussi sur l’attractivité pour tous du métier d’enseignant.

Source : Panorama statistique des personnels de l’enseignement scolaire (DEPP)

CAPES et Agrégation : la féminisation se confirme dans le second degré

Les concours de recrutement des enseignants du second degré confirment, entre 2021 et 2023, une tendance structurelle : les femmes sont désormais majoritaires dans l’accès aux postes de professeurs certifiés et agrégés, que ce soit dans le public ou dans le privé sous contrat.

Dans le secteur public, la proportion de femmes admises aux concours externes reste stable, autour de 54 % (53,8 % en 2021, 54,2 % en 2022, 53,8 % en 2023). Dans les concours internes, la féminisation est encore plus marquée, dépassant régulièrement les 60 % (58,8 % en 2021, 61,6 % en 2022, 60,3 % en 2023). Dans le secteur privé sous contrat, l’écart est encore plus net : les femmes représentent en moyenne 61 à 62 % des admis aux concours externes, et jusqu’à 67,7 % aux concours internes en 2022 (65,2 % en 2021, 65,9 % en 2023).

Ces chiffres, issus des bilans du ministère de l’Éducation nationale, révèlent une constante : la réussite féminine est désormais la norme dans les concours du second degré. Si les différences sont moins marquées aux concours externes de l’enseignement public, la forte surreprésentation féminine aux concours internes traduit la solidité des carrières féminines dans l’enseignement. Cette dynamique illustre pleinement l’"empowerment éducatif" au féminin, qui façonne en profondeur les métiers académiques et confirme le rôle central des femmes dans la transmission des savoirs.

Sources : Profil des admis aux concours enseignants 2021, 2022 et 2023

Et si le besoin de mixité était…… à inverser ?

Pourquoi ne pas saluer, en même temps qu’une accélération volontariste de l’accès aux femmes aux postes-clés de l’entreprise, ces conquêtes considérables de postes de responsabilité dans des secteurs aussi essentiels que la médecine, la justice et l’enseignement ? Ce mouvement symbolise en apparence un magnifique "empowerment" éducatif et social, où la réussite féminine ne relève plus de l’exception mais de la norme.

Cependant, qu’il soit permis de nous interroger. Nul doute qu’une équipe mixte (en genre) est capable d’un discernement plus approfondi, d’analyses plus fines, et de solutions plus créatives. Nul doute que, dans certains secteurs ou fonctions, la mixité de genre est perfectible. C’est ce que la loi Coppé-Zimmermann du 27 janvier 2011 a voulu reconnaître, en prévoyant que la proportion d'hommes et de femmes dans les conseils d'administration et de surveillance des moyennes et grandes entreprises ne peut être inférieure à 40%. Elle a été complétée par la loi Rixain (2021) exigeant, en 2026, 30% de femmes dans les comex d’entreprises de plus de 1000 salariés. Une partie des attendus de cette loi venait de la conviction de ce que les femmes étaient sous-représentés dans les postes "à responsabilité".

Les postes de magistrats, de médecins, de professeurs des écoles, des collèges et des lycées, ne seraient-ils pas des postes à "responsabilité", au regard de leur importance sociale ? La conviction du bienfait d’une réelle mixité dans les équipes ne devrait-elle pas s’appliquer également à ces recrutements ? Si l’on veut vraiment tirer parti d’un univers genré mixte, l’Etat lui-même n’aurait-il pas à s’appliquer les règles qu’il exige des entreprises, pour que magistrats et professeurs des écoles bénéficient d’au moins 30% d’hommes dans leurs effectifs ?

À moins que les promoteurs de la parité dans les entreprises et les postes de pouvoir politique n’aient paradoxalement intériorisé des représentations anciennes très "masculines" de ce qu’est la "responsabilité", l’assimilant au pouvoir visible ou à la puissance de l’argent, et omettant toute responsabilité sociale ? 

Considéré comme indispensable dans le secteur des grandes entreprises, l’équilibre genré de nos espaces professionnels mériterait d’être examiné avec autant de sérieux dans des métiers aussi essentiels que la justice, la médecine et l’enseignement.

Anne RIGHINI

Par Anne Righini
12.09.2025