Les mobilités étudiantes internationales ont connu une croissance exponentielle depuis le début du siècle : doublement du flux entre 2000 et 2015, pour un total qui atteignait presque les 5,6 millions d’étudiants en 2018. Leur répartition à la surface du globe est très inégale puisque l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Océanie (Australie et Nouvelle-Zélande seulement) attiraient à elles seules 73 % du total.
Laissons de côté les causes objectives d’une telle répartition pour s’intéresser aux États qui ont fait le choix stratégique d’ouvrir très largement leur enseignement supérieur aux étudiants étrangers. Ceux qui ont pris ce pari et ont rencontré leur public sont peu nombreux. En 2018, seuls six pays comptaient au moins 20 % d’effectifs étudiants venus de l’extérieur : les Émirats arabes unis (EAU), le Luxembourg, le Qatar, l’Australie, Singapour et la Nouvelle-Zélande (NZ).
Aux EAU et au Luxembourg, c’est un étudiant sur deux qui n’est pas issu de l’enseignement secondaire national ! Ces proportions doivent évidemment être appréciées en regard des valeurs absolues, en partie dictées par la capacité d’accueil très variable de ces appareils d’enseignement supérieur : avec une population d’un peu moins de 608 000 habitants en 2018, le Luxembourg n’accueillait ainsi que 3 362 étudiants internationaux, quand l’Australie en comptait 444 756 (8 % du flux mondial).
Indépendamment de la question – centrale – des éventuels droits de scolarité, ce flux entrant a des retombées positives sur l’économie du pays d’accueil, à court, moyen et long terme. Ces effets sont d’autant plus forts que les étudiants internationaux comptent pour une part significative de la population totale du pays hôte. En Australie, en 2018, les entrées d’étudiants ont correspondu à un gain de population de +1,78 %, l’équivalent proportionnel de la totalité des effectifs masculins de l’enseignement supérieur en France ! Et le choc est d’autant plus rude en cas de crise.
Ce qui est vrai à l’échelle du pays tout entier l’est également pour les systèmes d’enseignement supérieur, lorsqu’une grande partie du coût de la scolarité est assumé par les étudiants eux-mêmes (dans le secteur public, s’entend). Et c’est encore plus vrai quand une politique de droits de scolarité majorés a été adoptée pour les étudiants internationaux. Dès lors, en effet, le financement de l’enseignement supérieur et, bien souvent, de la recherche, est dépendant des étudiants étrangers.
Plusieurs cas de figure sont ici à distinguer pour le premier cycle :
Université du Luxembourg (unique institution universitaire du pays ) : 400 euros par semestre en L1, puis 200 euros en 2020-2021.
L’Université du Qatar est gratuite pour les Qataris, mais payante pour tous les autres (résidents et internationaux). Coût d’environ 10 000 USD par an pour un premier cycle de droit en 2020-2021.
Les étudiants internationaux paient plus du double par rapport aux nationaux à Singapour, et leurs frais sont presque quadruplés en Australie ! Pour ces cas de figure bien spécifiques, la pandémie de Covid qui a frappé le monde entier en 2020 vient mettre en lumière à la fois la puissance du modèle et sa faiblesse, liée au niveau de dépendance de tout le système d’enseignement supérieur vis-à-vis d’un élément non maîtrisable par le pays hôte. En Australie, c’est un quart du financement de la recherche des universités qui a été assuré par les droits de scolarité des étudiants étrangers en 2018 ! Sur les 12,2 milliards d’AU$ de dépenses, en effet, 3,1 milliards ont été puisés dans les recettes de la mobilité entrante. La situation devient vite alarmante lorsque l’on constate, comme à la rentrée de mi-parcours de juillet 2020, une chute de 45 % des nouvelles inscriptions internationales par rapport à l’année précédente. Deux chercheurs de l’université de Melbourne estimaient ainsi à l’automne 2020 que, sur les quatre années à venir, la perte totale de revenu pour le secteur pourrait atteindre 7,6 milliards d’AU$ (environ 5,4 milliards d’US$), avec un nombre de suppression de postes compris entre 5 100 et 6 100 soit jusqu’à plus de 10 % des personnels de recherche du pays - cette dynamique de réduction massive des personnels ayant commencé dès 2020.
À court terme, les gouvernements des pays riches ont la capacité de compenser le manque à gagner. Ainsi, en Australie, un plan de sauvetage de la recherche d’un milliard d’AU$ (environ 742,5 millions d’US$) a été décidé par les autorités fédérales à l’automne 2020. Mais il n’est pas impossible que cette crise conduise une partie des étudiants dans le monde à réévaluer le rapport coût/bénéfice d’une poursuite d’études à l’étranger – surtout si celle-ci exige de s’endetter lourdement – et porte un coup de frein pour plusieurs années aux mobilités étudiantes internationales. L’Australie planche déjà sur la manière de réduire, dans le schéma de financement de sa recherche universitaire, la part de la « ressource étudiants internationaux », notamment en développant des partenariats commerciaux, et de mettre ainsi en place un système souverain ; un groupe de travail sur la durabilité de la recherche est au travail.
La question des effets dissuasifs de la pandémie de Covid sur les comportements et de leur durabilité interroge un modèle de financement qui repose sur une dépendance vis-à-vis d’un flux qui doit désormais être considéré sinon comme fragile, du moins relativement imprévisible dans un monde volatile et incertain.
Sources : UNESCO pour les mobilités étudiantes (http://data.uis.unesco.org/?lang=fr#) et Banque mondiale pour les populations (https://data.worldbank.org/)
N.B. : Les données pour les EAU correspondent à l’année 2016 (dernières disponibles pour la mobilité)
Chiffres tirés de la base de données de l’UNESCO : http://data.uis.unesco.org/?lang=fr#
Sur les effets positifs des mobilités entrantes sur l’économie du pays d’accueil, voir OECD, Education at a Glance 2020: OECD Indicators, Indicator B6. What is the profile of internationally mobile students?, 2020. URL : https://www.oecd-ilibrary.org/sites/974729f4-en/index.html?itemId=/content/component/974729f4-en#biblio-d1e18261 (consultée le 5 décembre 2020)
Selon les effectifs étudiants de la base de données de l’UNESCO et les chiffres de la Banque mondiale pour la population française, année 2018.
Droits de scolarité de l’Université du Luxembourg : https://wwwfr.uni.lu/etudiants/les_etudiants_et_l_argent/budget_a_prevoir (consultée le 5 décembre 2020)
123 credit hours obligatoires pour l’obtention du diplôme, avec un coût moyen de 900 QAR = coût total 110 700 QAR, soit environ 30 400 USD. Sur la politique des droits de scolarité de l’Université du Qatar, voir : http://www.qu.edu.qa/students/admission/undergraduate/tuition-fees, et sur les obligations de scolarité du LLB, voir : http://www.qu.edu.qa/law/program/llbprogram/course (consultées le 6 décembre 2020)
Voir http://www.nus.edu.sg/registrar/docs/info/administrative-policies-procedures/ugtuitioncurrent.pdf (consultée le 5 décembre 2020)
OECD, Education at a Glance 2020: Indicator C5. How much do tertiary students pay and what public support do they receive?, 2020. URL : https://www.oecd-ilibrary.org/sites/9721a904-en/index.html?itemId=/content/component/9721a904-en (consultée le 5 décembre 2020)
Sur la réforme du financement de l’enseignement supérieur australien, et ses conséquences sur les droits de scolarité, voir notamment : Visentin, Lisa, “University fees are changing. How will it affect you?”, in https://www.smh.com.au/, 17 octobre 2020. URL : https://www.smh.com.au/politics/federal/university-fees-are-changing-how-will-it-affect-you-20201009-p563ib.html (consultée le 2 novembre 2020)
OECD, Education at a Glance 2020: Indicator C5. How much do tertiary students pay and what public support do they receive?, 2020. URL : https://www.oecd-ilibrary.org/sites/9721a904-en/index.html?itemId=/content/component/9721a904-en (consultée le 5 décembre 2020)
Coefficient multiplicateur de 2,14 appliqué au coût des formations. Ibid.
Ces 3,1 milliards ont représenté la moitié des sources de financement non-gouvernementales de la recherche des universités australiennes en 2018. Voir Maslen, Geoff, “Universities to lose AU$ 7.6 billion and 6,000 researchers”, in https://www.universityworldnews.com/, 24 septembre 2020. URL : https://www.universityworldnews.com/post.php?story=20200924092504592 (consultée le 22 octobre 2020)
Visontay, Elias, « University research gets $1bn in Australian budget after loss of international student revenue », in https://www.theguardian.com, 6 octobre 2020. URL : https://www.theguardian.com/australia-news/2020/oct/06/university-research-1bn-australian-budget-loss-international-student-revenue (consultée le 10 décembre 2020)
Ibid.
Visentin, Lisa, “Universities welcome $1 billion research bailout package”, in www.smh.com.au, 7 octobre 2020. URL : https://www.smh.com.au/politics/federal/universities-welcome-1-billion-research-bailout-package-20201007-p562rf.html (consultée le 22 octobre 2020)
Visontay, Elias, ibid.