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Les CPGE en questions 1. Ouverture sociale : correction de quelques idées reçues

Les CPGE en questions 1. Ouverture sociale : correction de quelques idées reçues
Par Eric Ghérardi
12.04.2023

Le pourcentage de boursiers sur critères sociaux parmi les étudiants des grandes écoles est l’un des arguments périodiquement utilisés pour démontrer un manque d’ouverture de ces établissements d’enseignement supérieur, toutes catégories confondues (écoles d’ingénieurs, de management, ENS, etc.). La critique s’étend généralement par capillarité aux classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), qui constituent le vivier naturel de recrutement des étudiants desdits établissements. En retour, l’université, qui accueille près de 56 % des étudiants du pays en 2020-21, mais plus de 70 % des boursiers du supérieur, est présentée comme le lieu d’accueil privilégié des étudiants issus des milieux les plus modestes. Au-delà des interrogations quant à la finalité de cette critique, essayons d’en analyser la pertinence en comparant précisément le niveau d’ouverture sociale des CPGE et de l’université. 

 

L’apparence de la statistique brute : des CPGE moins accessibles aux milieux modestes que l’université 

Les chiffres bruts publiés par le MESR mettent en lumière de fortes disparités dans la répartition des boursiers sur critères sociaux selon le type d’établissement d’enseignement supérieur. De prime abord, ces données semblent établir une capacité d’intégration sociale des CPGE plus faible que celle des universités. Le taux moyen de boursiers dans les effectifs de l’université française en 2020-2021 est en effet de 41 %, contre 29,1 % seulement pour les CPGE du secteur public (et 27,3 % pour l’ensemble des CPGE). L’écart apparaît même abyssal entre certaines formations universitaires, dans lesquelles ce taux dépasse les 50 % (par exemple, 55 % pour les filières AES – administration économique et sociale), et les CPGE du secteur privé, qui ne comptent que 17,9 % de boursiers - soit un rapport de 1 à 3,2.

Les formations accessibles aux étudiants en sortie de CPGE enregistrent un écart comparable, en matière d’origine sociale des étudiants, avec l’université. Ainsi, le taux de boursiers en école d’ingénieurs (hors université) est-il de 22,8 % ; il tombe à 12,4 % en école de commerce. Et les différences sont encore plus criantes si l’on prend en compte les seuls boursiers aux échelons 5 à 7 : alors qu’ils représentent plus de 20 % des effectifs dans certaines formations universitaires (24,7 % pour les étudiants d’AES), ces étudiants les plus modestes comptent pour à peine 5 % des effectifs des écoles d’ingénieurs (hors université), et moins de 4 % de ceux des écoles de commerce en sortie de CPGE, soit un rapport de 1 à 7 entre écoles de commerce et AES !

Ces statistiques semblent donc révéler l’existence d’un véritable fossé entre une université française socialement très accueillante d’une part, et les CPGE et les écoles auxquelles elles destinent, socialement bien plus sélectives, d’autre part. La représentation graphique devient même saisissante lorsque l’abscisse ou l’ordonnée à l’origine de ces graphiques sont choisies pour faire apparaître certaines écoles au niveau des axes, donc implicitement au niveau zéro.  Pourtant, si on les regarde de plus près, les chiffres traduisent une réalité beaucoup plus complexe. 

 

Une réalité nettement plus nuancée

Tout d’abord, la part de boursiers dans l’enseignement supérieur est artificiellement gonflée par l’introduction d’un échelon de bourse 0, d’un montant nul ou beaucoup trop réduit pour conditionner l’accès à l’enseignement supérieur (simple exonération des frais d’inscription à l’échelon 0, soit 170 € de remise par an en licence, et 86 € par mois versés par l’État à l’échelon 0 bis). Pour se faire une idée du niveau d’ouverture sociale des différentes branches de l’enseignement supérieur, il est donc plus juste de se concentrer sur l’autre extrémité du spectre, à savoir, la part des étudiants bénéficiaires de bourses aux échelons 5 à 7. On voit alors l’écart entre université et CPGE se réduire considérablement : 13 % pour l’ensemble des effectifs de l’université, 7,5 % pour les universités sous statut de grand établissement, et 6,6 % pour l’ensemble des CPGE (secteurs public et privé confondus), soit une différence ramenée de 13,7 à 6,6 points. La part des boursiers aux échelons 5 à 7 atteint même les 8 % pour les CPGE économiques et commerciales.

Ensuite, les écarts entre l’université au sens large et les CPGE varient beaucoup en fonction des filières que l’on considère, y compris dans le sens d’un avantage des CPGE, dans certains cas, en matière d’ouverture sociale. Les formations universitaires longues accueillent pour certaines moins d’étudiants boursiers, en proportion, que les CPGE (faites pour la poursuite d’études longues). On compte par exemple 25 % d’étudiants boursiers en études de santé dans les facultés de médecine (hors PASS), contre 29,1 % dans les CPGE publiques, ce taux atteignant les 30 % dans les classes préparatoires littéraires.

Enfin, le taux de boursiers global dans l’enseignement supérieur est une mesure du « stock d’étudiants » à un moment donné, et non du flux d’étudiants qui réussissent leurs études. C’est pourquoi il convient de regarder aussi ce qu’il en est des chiffres en deuxième cycle. En études universitaires générales, le taux de boursiers est de 31 % en master (contre 45,4 % au niveau licence), tandis que les cursus master des grandes écoles comptent 27 % de boursiers. L’avance de l’université en matière d’ouverture sociale est donc réduite à 4 points seulement. Quand on connait le taux d’autocensure des jeunes d’origine modeste, cet écart apparait peu important.

 

On voit dès lors que l’approche statistique doit être maniée avec finesse et précaution, en se débarrassant des biais de présentation simplificateurs qui faussent l’appréhension objective de la situation de ces étudiants les moins avantagés financièrement. Si l’université joue indéniablement un rôle irremplaçable d’intégration sociale par les études supérieures, les CPGE remplissent néanmoins aussi leur part de ce contrat. Pour raisonner ces questions, il convient de s’intéresser avant tout aux étudiants qui ont pu avoir un parcours de formation réussie (et, donc, au flux de diplômés) afin de comparer les trajectoires de succès, plutôt qu’au total de ceux qui étudient à un moment donné. À suivre, dans un prochain article. 

Lisez l'Essentiel Paxter consacré à la question : "Les CPGE, une originalité française"
Par Eric Ghérardi
12.04.2023