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Démographie étudiante mondiale et impact de la pandémie : quelle stratégie d’attractivité et de croissance pour l’enseignement supérieur français ?

Démographie étudiante mondiale et impact de la pandémie : quelle stratégie d’attractivité et de croissance pour l’enseignement supérieur français ?
Par Pierre Tapie
12.01.2022

Quelles tendances dans la démographie étudiante mondiale et les mobilités internationales ?

 

Depuis bientôt une décennie, le cabinet Paxter travaille à éclairer ce que deviendra l’enseignement supérieur sur un plan international à échéance de 15 ans, en explorant le lien entre accès à l’enseignement supérieur, développement économique, et perspectives démographiques. Des prévisions multilocales décrivent la demande probable de chacun des pays et permettent de construire une analyse mondiale, qui intègre la capacité financière des familles. 

D’ici 2035, la demande d’enseignement supérieur va continuer à croître, mais beaucoup moins vite que par le passé : + 37% en18 ans (2017-2035) contre + 100% entre 2000 et 2015, parce que bien des pays aujourd’hui (ou hier) en émergence ont déjà réalisé leurs transitions démographiques, et que nombre de ces pays ont atteint un taux d’accès important à l’enseignement supérieur. Des pays qui ont été des vecteurs de croissance, comme le Brésil ou la Thaïlande, ne joueront plus ce rôle. 

Avant la pandémie, nous prévoyions que le nombre d’étudiants dans le monde passerait de 207 à 277 millions entre 2017 et 2035. Sur ces 70 millions d’étudiants supplémentaires, 20 seront en Afrique, 19 en inde, et 16 en Chine, les taux de croissances les plus élevés étant en Afrique (+ 220% en moyenne). Mais en parallèle, le nombre d’étudiants dans certains grands pays riches va baisser : Japon, Corée, USA.

Au cours des années 2000 à 2018, les étudiants en mobilité diplômante sont passés de 1,6 à 5,2 millions, soit une croissance moyenne de 6,7 % par an. Les questions à poser sont celles des tendances structurelles, puissantes et d’une certaine manière incontournables, et celles des tendances conjoncturelles, comme la fermeture des USA, ou celle de la Chine, qui viennent changer de grands équilibres, entre terres d’accueil et terres d’envoi.

Comment la crise sanitaire bouscule-t-elle ces prévisions, en termes de flux étudiants et de demande de formation ? 

Sauf dans des situations localisées où la pandémie engendrerait une perturbation économique très durable, ce qui n’est pas notre hypothèse, la demande intrinsèque de formation, pour une population locale donnée, ne va pas fondamentalement changer.

En revanche la pandémie, mais structurellement encore davantage la question climatique, va sans doute affecter durablement les mobilités étudiantes longues, en les polarisant : maintien de ces mobilités pour des classes très aisées ou des formations de prestige ; pour le reste, demande croissante pour des formations locales de qualité. Notons que la baisse démographique annoncée des jeunes à former aux USA représente une évolution structurelle majeure : face à la baisse de leurs effectifs, un certain nombre d’universités US, « assez bonnes », se mettront sans doute à travailler à coût marginal pour certaines populations d’étrangers. Sous réserve que la politique d’immigration des USA le permette.

La mobilité étudiante mondiale, en croissance ces dernières décennies, va-t-elle connaître un effet de freinage ? 

D’une manière générale il y aura freinage pendant les deux ou trois ans durant lesquels nous allons « digérer » la pandémie, car les parents auront peur de savoir leurs enfants loin, sauf pour les envoyer dans des pays où la santé est notoirement mieux gérée que chez eux. Mais ensuite, ce sera plutôt la question de la fermeture/ouverture géopolitique qui deviendra déterminante, pour les formations de haut niveau. On peut cependant anticiper une certaine régionalisation des zones d’influence : Europe-Afrique, Asie, Amériques.

Une certaine relocalisation des efforts des établissements risque donc d’être pertinente, surtout au niveau des bachelors, où de belles stratégies de partenariat ou d’implantation sont à construire dans des pays à très forts besoins, en particulier en Afrique.

Quel impact sur la stratégie des établissements d’ESR français : Faut-il dorénavant limiter ses ambitions de développement à l’international, notamment dans un contexte de crise climatique ? Développer ses capacités de formation par le numérique, à distance, pour toucher ces marchés d’une autre manière ?  

Il faut évidemment développer la capacité de formation par le numérique : la pandémie laisse un immense chantier de l’optimisation des modalités d’enseignement, entre présentiel et distanciel, d’abord pour les étudiants habituels. La réflexion est pertinente parce que les manières de penser les ingénieries pédagogiques numériques incluront ou non facilement la capacité d’accueillir des étudiants étrangers ; mais l’offre est telle sur ce marché que chaque établissement devra acquérir les compétences permettant de rendre ses produits distinctifs, de réfléchir à leur stratégie marketing, etc. Proposer un bon cours digitalisé de physique du solide ou de corporate finance ne signifie pas savoir le vendre ou le placer comme produit d’appel.

En revanche ce serait une erreur stratégique majeure de limiter les ambitions de développement à l’international. La France, de 3ième pays d’accueil voici 10 ans, est passé au 6ième rang aujourd’hui, simplement parce qu’elle a laissé d’autres pays (Australie, Allemagne, Russie), profiter mieux qu’elle du développement des mobilités internationales. Voici 10 ans une tout autre stratégie était possible. La Conférence des Grandes Ecoles (CGE) l’avait  proposée : elle aurait permis de passer au second rang et de recevoir un investissement massif de ressources, en devises étrangères, pour développer notre appareil d’enseignement supérieur, profitant de l’attractivité naturelle de la France et de son rapport qualité/coût très favorable, pour des formations de qualité. Les écoles de commerce et d’ingénieur, qui se sont engagées dans cette voie d’un coût complet assortie d’une politique volontariste de bourses, ont connu un développement spectaculaire.

Des pays ont, tant pour des raisons démographiques qu’économiques, des besoins massifs de développer leur accès à l’enseignement supérieur,. Or, la France est géopolitiquement et culturellement attractive, pour bien des raisons : la conjonction entre une haute tradition intellectuelle, une indépendance diplomatique, la taille moyenne d’un pays qui n’a pas de prétention à dominer, etc. sont autant de facteurs qui nous rendent sympathiques dès lors que nous ne sommes pas arrogants. Dans ce contexte de croissance réelle, rapide, de certaines régions, nous avons deux atouts compétitifs mondiaux : i) notre manière de construire des systèmes d’enseignement supérieur professionnalisants, en toutes disciplines, longue tradition fruit des encyclopédistes ; ii) le rapport qualité/coût de nos formations. Les universitaires français ont appris à vivre maigre ; de ce point de faiblesse indéniable, sur lequel il faut continuer à s’améliorer en France, on peut faire une force quant à la compétitivité internationale.

Dans ce cadre, ayons l’audace de proposer de nombreux campus off-shore « à la française » dans ces pays en demande, pour accueillir ensuite en second cycle les étudiants en France comme dans leurs pays : autant d’occasions de renouveler aussi notre recherche. Les mutations rapides du monde sont des opportunités, pour peu que l’on ait un peu de perspicacité bien renseignée, d’audace, d’ambition et de courage.

Par Pierre Tapie
12.01.2022