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Quel contexte et quelle formation pour les ingénieurs de demain ?

Quel contexte et quelle formation pour les ingénieurs de demain ?
Par Hervé Biausser
20.09.2021

Il est désormais clair que la Technologie, amplifiée par les Mathématiques Appliquées, jouera au 21ème siècle un rôle majeur dans l’élaboration des solutions qui permettront à l’Humanité de répondre aux incroyables défis économiques, sociaux et environnementaux auxquels elle doit faire face. Il est donc essentiel que les cursus de formation des ingénieurs, cadres dont la Technologie est le cœur de métier, conservent et plus encore renforcent leur modernité, leur excellence et leur cohérence avec la demande sociale. Cela suppose que ces formations prennent en compte, et mieux, anticipent les grands changements du monde qui vont aller en s’accélérant.

Pour les institutions d’enseignement supérieur, la tentation serait grande de se contenter d’adapter les formations existantes à ce nouveau contexte. Mais il est clair que les grands changements du monde qui sont en cours sont révélateurs d’un véritable changement de paradigme, non seulement économique mais encore politique et social. C’est donc dans leur globalité que les formations d’ingénieur vont devoir être repensées.

Trois de ces grands changements seront, de notre point de vue, particulièrement déterminants et ne peuvent rester sans incidence sur la formation des ingénieurs de demain. Il s’agit de la poursuite du changement de l’environnement économique, de l’émergence des nouveaux métiers et des nouvelles organisations qui vont en découler, et, enfin, de la nécessité confirmée d’un accès optimal à la connaissance et aux données comme à leur traitement.

La poursuite du changement de l’environnement économique

Dans l’évolution de l’environnement économique, le point essentiel sera l’amplification du besoin d’innovation, qui va aller s’accélérant, se développer dans de nouveaux domaines, moteurs de la croissance de demain, et requérir de plus en plus de contenus mathématiques et informatiques.

Face aux défis du 21ème siècle et la rapidité des changements en cours, l’innovation est appelée à jouer un rôle de plus en plus fondamental. Mais pour qu’elle produise des effets pertinents, deux conditions s’imposent :

  • D’une part, il faudra impérativement que les ingénieurs sachent travailler dans le triangle « Technologie/Design/Business » : utiliser le meilleur de la technologie pour proposer au meilleur coût la solution la mieux adaptée aux usages des consommateurs. Et sachent tirer le meilleur parti de la Technologie, à un moment où certains économistes constatent un ralentissement du progrès technique, en lien notamment avec une « inefficacité croissante de la recherche » … (cf. P. Artus et .).
  • D’autre part, la connaissance des mécanismes de financement et la vitesse d’exécution seront décisives. En effet, face à la généralisation de la concurrence, un projet qui n’aura pas intégré dès le départ son mode de financement risque de ne pas convaincre les investisseurs. Et s’il n’est pas développé avec célérité, il risque d’arriver trop tard par rapport à des projets concurrents car « les bonnes idées sont dans l’air » !

De nouveaux domaines vont devenir les moteurs de la croissance et de l’emploi. On peut citer, sans prétention d’exhaustivité, celui de la transition énergétique et de la lutte contre le réchauffement climatique, dans tous leurs aspects (logement, transport, industrie, réseaux…), ceux de la Santé, comme vient de nous le rappeler l’épidémie de Covid-19, de l’Alimentation, de l’Eau, du Numérique, et de la Sécurité au sens large, sans oublier la fourniture de biens au plus proche de l’utilisateur et de ses besoins comme va le permettre l’Industrie 4.0 et son formidable potentiel d’innovation.

Pour bien intégrer le sens de toutes ces évolutions du monde et ces nouveaux moteurs de la croissance, l’ingénieur de demain devra être un citoyen éclairé et cultivé, notamment sur le plan économique et social, pour comprendre les attentes de ses clients et plus généralement de la Société. Cela suppose de « connaitre le monde » et ses grandes transformations et en particulier d’avoir une solide culture sur le contexte économique, social, politique et géopolitique, dont il ne pourra se désintéresser au moment où une grande partie de la jeunesse s’éloigne du processus démocratique, tant au niveau national qu’international.

Et puisque ces changements du monde continuent aussi d’être l’objet de craintes, voire d’angoisse, et posent dès à présent de redoutables problèmes éthiques, comme on le voit par exemple dans le domaine des Sciences de la Vie ou des usages des réseaux sociaux. L’ingénieur de demain devra donc s’y préparer. Pour ce faire, il devra au minimum avoir d’une part une véritable réflexion éthique et un sens aigu de ses responsabilités sociales et, de plus en plus, environnementales, et d’autre part avoir le souci du sens de ses actions, de leur acceptabilité sociale et de leur contribution au bien commun et, dès lors, avoir développé une grande capacité d’écoute et de dialogue, de plus en plus essentielle dans un univers de plus en plus Technologique et Numérique.

Enfin, le numérique sera omniprésent, comme le confirme la référence désormais permanente aux notions de Big Datas, d’Intelligence Artificielle, d’algorithmes. Pour réussir dans un tel environnement, l’ingénieur de demain devra, sans nécessairement être un expert, avoir néanmoins compris et totalement assimilé cet environnement nouveau et ses extraordinaires possibilités, et surtout, en suivre l’évolution. Cela renforcera la nécessité de très solides bases en Mathématiques et en Informatique, déjà apparue avec l’incroyable développement de la modélisation au cours des cinquante dernières années, mais aussi le souci permanent de renforcer cette expertise. Cela suppose aussi que l’ingénieur connaisse les frontières de son domaine d’expertise et qu’il soit capable d’échanger avec des spécialistes d’autres disciplines. Il doit donc avoir une large culture scientifique et savoir travailler aux interfaces. Ce d’autant que l’ingénieur va devoir s’adapter à de nouveaux métiers et de nouvelles organisations professionnelles.

De nouveaux métiers et de nouvelles organisations

Les changements de l’environnement économique ainsi évoqués vont continuer de faire émerger de nouveaux métiers et de nouvelles organisations auxquels l’ingénieur de demain sera inéluctablement confronté.

Pour ce qui concerne les métiers, il semble en premier lieu très plausible que nos ingénieurs travailleront de plus en plus dans des startups ou des très petites entreprises parce que c’est dans ce type de structures que va se faire une part essentielle de l’innovation.

Les métiers liés aux activités de service (banque/assurance, santé, distribution …) devraient se développer largement car ce secteur concentre une part croissante de la valeur créée par l’activité économique, de plus en plus aux interfaces des champs de production classiques. Ces fonctions d’interface nécessitent de nouvelles compétences comme la maitrise et l’intégration de différentes disciplines ou de différents points de vue.

De nouveaux emplois d’ingénieur seront également générés par la révolution numérique (par exemple data manager, data analyst, développeur IA, e-marketer, etc…).

Enfin, les fonctions d’ingénieur devraient se développer dans des activités de type commercial car leur compétence sera davantage nécessaire au commerce de produits de plus en plus techniques et de plus en plus customisés.

Pour ce qui concerne les organisations, toutes auront besoin d’ingénieurs et cadres ayant une attitude d’entrepreneur, et qui dans les grands groupes devront donc être des « intrapreneurs », c’est-à-dire se montrer capables de conduire la transformation d’une innovation ou d’un prototype en un véritable produit valorisé sur un marché. L’ingénieur devra donc, plus encore qu’aujourd’hui, savoir conduire un projet, manager une équipe, fédérer les énergies, mobiliser des ressources, etc. Pour ce faire, il devra avoir développé un véritable leadership, savoir décider et prendre des risques ; ce qu’il fera d’autant mieux s’il maitrise l’approche système en y incluant les aspects humains et s’il sait former ses équipiers.

Pour être anticipatives et réactives, les organisations devront être agiles et promouvoir un fonctionnement plus réactif, plus horizontal et moins hiérarchique. Elles devront aussi s’adapter aux attentes et aux nouveaux modes de vie et de travail des jeunes générations, tant pour leurs clients que pour leurs personnels, et devront arbitrer en permanence entre coopération et compétition avec leurs concurrents et leurs partenaires.

Enfin, les grandes organisations, puissantes mais manquant de souplesse, devront savoir travailler avec les plus petites et en particulier avec les startups, sans les étouffer et en respectant leur dynamique propre.

En définitive, tous les acteurs et toutes les organisations seront, dans ce monde « VUCA » (Volatil, Uncertain, Complex and Ambiguous) selon l’expression désormais consacrée, dans l’absolue nécessité de savoir prendre davantage de risques. Dans un tel contexte aussi hautement évolutif, l’accès à la connaissance et aux données comme la capacité à les traiter seront tout aussi décisifs.

L’accès à la connaissance et aux données et leur traitement 

L’époque actuelle est marquée par l’augmentation exponentielle des informations accessibles, informations dont l’évaluation et la confrontation à la réalité des faits est de plus en plus problématique.

Pour accéder en permanence aux bonnes informations, l’ingénieur de demain, comme toutes les personnes exerçant des responsabilités, devra avoir le souci permanent d’entretenir son niveau d’expertise par la formation continue et l’autoformation. Cela suppose qu’il sache :

  • dialoguer avec la Recherche, qui a sa logique et sa dynamique propres, compte tenu du caractère novateur de bon nombre d’informations indispensables ;
  • accroitre la pertinence de son jugement en étant pleinement capable d’utiliser l’approche systémique des problèmes et d’en intégrer voire d’en modéliser les différents aspects ;
  • utiliser les techniques de créativité et imaginer des ruptures;

Si ces exigences sont remplies, les ingénieurs seront particulièrement qualifiés pour exercer de hautes responsabilités.

Mais tout ceci ne sera efficace que si l’ingénieur de demain est par ailleurs un Manager d’Informations et un Manager de Réseau.

Pour innover et entreprendre, il devra disposer des bonnes informations au bon moment et donc savoir les trouver, savoir les évaluer (et en particulier savoir identifier et éviter les tristement célèbres « fake news » qui circulent sur les réseaux sociaux) et savoir les utiliser, en résumé savoir manager des informations.

Il pourra s’appuyer, comme nous l’avons vu, sur son expertise, son expérience et sa culture. Mais pour être régulièrement alimenté en informations ou à l’inverse aller en chercher, il devra impérativement pouvoir s’appuyer sur un réseau personnel de haut niveau, fiable et efficace, et aussi large que possible. Il lui faudra donc avoir le souci permanent d’entretenir et d’étendre son réseau, selon les deux principes qu’on reçoit d’autant plus d’informations pertinentes qu’on en donne davantage et que c’est lorsqu’on n’a pas besoin de son réseau qu’il faut le renforcer pour qu’il soit instantanément prêt au moment nécessaire.  En outre, ce réseau lui sera extrêmement précieux pour créer ou saisir des opportunités, lever des difficultés de tous ordres, monter des projets, trouver des partenaires… en se souvenant ici que le concurrent d’hier sera peut-être le partenaire de demain.

Pour que cette gestion de l’information soit efficace et pour que le sens de l’innovation propre à l’ingénieur aboutisse à de véritables réalisations, il devra également être pragmatique et savoir travailler vite, de façon agile et concrète, pour réaliser ou faire réaliser les prototypes, physiques ou logiciels, qui démontreront la pertinence de ses idées. Il devra savoir conceptualiser et intégrer les différents aspects d’un problème (scientifiques et techniques, mais aussi économiques, sociaux, environnementaux…), les quantifier et les modéliser. Il devra aussi, bien sûr, savoir raisonner en terme « d’usages », et dans le triangle « Technologie/Design/Business », ce qui suppose d’une part une très bonne maitrise des mécanismes de financement et d’autre part une grande ouverture sur le monde.

Enfin, il devra être un acteur responsable de la Société Numérique. Le 21ème siècle sera, nous le savons, Technologique et Numérique. La révolution technologique et numérique en cours sera l’un des moteurs de son action car elle continuera d’ouvrir de fantastiques perspectives de progrès pour l’Humanité. La mise au point incroyablement rapide de vaccins efficaces contre la CoVid19 en est une nouvelle preuve éclatante. Mais elle continuera aussi d’être l’objet de craintes, voire d’angoisses, et elle pose dès à présent de redoutables problèmes éthiques, comme on le voit par exemple dans le domaine des Sciences de la Vie ou des usages des réseaux sociaux.

L’ingénieur de demain devra donc :

  • avoir une véritable réflexion éthique et un sens aigu de ses responsabilités sociales et de plus en plus environnementales,
  • avoir le souci du sens de ses actions, de leur acceptabilité sociale et de leur contribution au bien commun,
  • et dès lors, avoir une grande capacité d’écoute et de dialogue, de plus en plus essentielle dans un Univers de plus en plus Technologique et Numérique.

Expert, Innovateur, Citoyen éclairé et cultivé, Entrepreneur, Manager d’Informations et de Réseaux, Acteur Responsable de la Société Numérique : aucune de ces compétences n’est et ne sera propre aux seuls Ingénieurs. Mais c’est la maitrise simultanée et intégrée de ces six compétences qui fera, dans le contexte du 21ème siècle, leur spécificité et leur compétence globale pour la Société.

Dans cette perspective, la formation d’ingénieur « à la française », construite sur de solides connaissances en Sciences de base et des liens forts avec l’entreprise, proposant une vaste ouverture y compris dans le domaine des SHS, et enrichie d’une expérience personnelle immersive professionnelle comme internationale, est idéalement placée pour mener à bien cette transformation. Déjà largement reconnue à l’international, cette formation est donc un atout pour notre pays dans la mondialisation de l’enseignement supérieur et mérite plus que jamais le soutien de la collectivité.

Par Hervé Biausser
20.09.2021