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Les maths comme enjeu démocratique

Les maths comme enjeu démocratique
Par Pierre Tapie
01.03.2021

L’incompétence mathématique représente un handicap personnel pour tout métier comme pour la vie quotidienne. Trop répandue, elle devient un risque majeur pour la démocratie.

Deux anecdotes, espacées de vingt ans, illustrent ce propos.

En janvier 2021, l’information suivante est diffusée à une heure de grande écoute et sur une radio nationale : « il a été observé, pendant les deux semaines qui ont suivi leur injection, 4 décès parmi les 400 000 personnes qui ont reçu la première injection d’un des vaccins CoVid19. Faut-il s’inquiéter ? Ce vaccin présente-t-il un risque ? Faut-il attendre que de nouvelles recherches aient démontré que ces quatre morts ne sont en rien liées au vaccin, pour continuer à vacciner ? » Ces interrogations susceptibles de faire douter les auditeurs candidats à la vaccination ont duré trois longues minutes, sur les 10 du bulletin.

Une simple « règle de trois » aurait dégonflé cette non-information : en 2019 la France a connu 680 000 décès, pour une population de 67 millions, soit 1 décès pour 100 habitants chaque année, donc 1000 pour 100 000. Ramenés à 2 semaines, soit environ 1/25e de l’année, cela signifie une probabilité moyenne de décès de 40 pour 100 000 en 2 semaines. Le chiffre de 4 décès sur 400 000 en quinze jours, dont UN pour 100 000 après injection du vaccin, commenté à l’excès, n’avait donc aucune signification.

Vingt-cinq ans plus tôt, en pleine crise de la vache folle, un président d’université, juriste de métier, est invité à diner par une douzaine de directeurs d’écoles d’ingénieur. Sur le sujet du moment, il déclare : « dès lors qu’il s’agit de santé des hommes, seul le risque zéro est admissible ». Consternation parmi les scientifiques ! L’un d’entre eux explique courtoisement quelques règles élémentaires de statistiques : dans la vraie vie, le risque zéro n’existe pas, seule une baisse du seuil de risque probable est possible.  L’invité est intelligent et intellectuellement honnête. Après deux heures de débat très intense, il conclut : « je vous quitte bouleversé d’avoir découvert que, pendant vingt ans d’enseignement universitaire, j’ai formé des milliers de jeunes, futurs journalistes, juges ou avocats, en n’ayant jamais croisé la moindre des notions que vous m’avez fait découvrir ce soir : comment ai-je pu être autant dans l’erreur par ignorance ? ».

Ces deux scènes illustrent l’enjeu démocratique d’une maîtrise minimale des mathématiques. Le journaliste n’aurait jamais abreuvé les auditeurs du « risque possible d’un tel vaccin » s’il avait eu quelques notions de proportion et des ordres de grandeur du nombre de décès en France ; le professeur de droit n’aurait jamais enseigné « qu’en santé humaine, seul le risque zéro est admissible » s’il avait reçu des notions élémentaires de statistiques. Au temps des fake news, pouvoir distinguer que quelque chose « ne marche pas », de manière immédiate et rationnelle constitue un élément majeur pour se protéger des charlatans.

En prend-on vraiment le chemin ? Le niveau en maths parmi les élèves de quinze ans des pays de l’OCDE, mesuré par l’enquête TIMSS de l’automne 2020, a révélé que la France arrivait 36e sur 37 pays. En première année de licence de biologie (scientifique donc), les professeurs utilisent aujourd’hui entre autres matériaux, en travaux dirigés, des exercices proposés à l’examen d’entrée en sixième voici 50 ans ; les concours de recrutement du CAPES en maths ou en physique n’arrivent pas à recruter le nombre de postes ouverts, compte tenu de la médiocrité des candidats ; la « mastérisation » des professeurs des Écoles a entraîné le recrutement de candidats ayant pour la plupart effectué un parcours non scientifique ; le « tronc commun » du nouveau « bac 2021 » ne comporte pas de mathématiques.

Il est temps de prendre conscience de l’enjeu de l’ignorance mathématiques pour la démocratie ; il faut ensuite se donner les moyens financiers de recruter, autrement, les personnels aptes à enseigner les sciences dès l’école primaire et tout au long de l’enseignement secondaire. Il faut enfin chercher à élever largement, par la formation continue, le niveau en maths de tous ceux qui ont réussi une trajectoire professionnelle bien que fâchés avec les maths pendant leur scolarité. En faisant redécouvrir que les maths sont utiles dans la vie de tous les jours.

Par Pierre Tapie
01.03.2021