La société de conseil en stratégies académiques et en ingénierie pédagogique Paxter a publié le 2 juillet 2025 les résultats d’une étude mondiale sur les liens entre développement économique, accès à l'enseignement supérieur et employabilité. Inédite par son ampleur, cette recherche menée par Pierre Aliphat, Nikola Damjanovic et Pierre Tapie, repose sur un panel de 140 pays. Elle croise plusieurs variables : PIB/habitant en parité de pouvoir d’achat (PIB/Hab (ppa)), taux d’accès à l’enseignement supérieur, six taux de chômage (général, diplômés, non-diplômés, jeunes, jeunes diplômés et jeunes non-diplômés).
La dimension novatrice de l’étude réside essentiellement dans la densité de données traitées, sur un ensemble de pays représentant plus de 90 % de la population et de la jeunesse mondiales, et pour lesquels ont été retraités un par un les taux d’accès à l’enseignement supérieur. Les résultats suggèrent qu’au-delà du niveau d’études, c’est bien la pertinence des qualifications pour l’emploi et pour le stade de développement du pays qui déterminent l’employabilité des personnes.
Une recherche en cinq questions successives et structurantes
Question 1 : Quelle relation entre le niveau de développement économique d’un pays et l’accès à l’enseignement supérieur ?
Une forte corrélation (R = 0,72) est observée entre PIB/Hab (ppa) et taux d’accès à l’enseignement supérieur. En retirant les pays jugés atypiques (producteurs de pétrole ou hubs financiers), cette corrélation atteint R = 0,84. Elle est particulièrement marquée dans les pays à faible revenu (PIB/Hab < 15 000 $) avec un R = 0,78. En revanche, elle devient inexistante au-delà de ce seuil, montrant que dans les pays riches, développement économique et accès à l’enseignement supérieur deviennent indépendants.
Question 2 : Peut-on établir des corrélations entre développement économique et différents taux de chômage (général, diplômés, jeunes et jeunes diplômés) ?
Les corrélations entre PIB/Hab (ppa) et les taux de chômage général, des jeunes, des jeunes non-diplômés sont faibles (de -0,22 à -0,25). Le taux de chômage des non-diplômés n’est pas corrélé au développement économique. En revanche, des corrélations négatives sont établies avec le chômage des diplômés (R = -0,612) et des jeunes diplômés (R = -0,641) : dans des pays en émergence, poursuivre le développement demande une main-d’œuvre plus éduquée.
Question 3 : Quelles relations entre accès à l’enseignement supérieur et employabilité ? Ceci dépend-il du niveau de développement économique ?
Question 4 : Peut-on regrouper en catégories homogènes des pays ayant des caractéristiques de richesse et d’employabilité comparables (1) ?
L’étude identifie cinq groupes de pays aux dynamiques homogènes (cf carte ci-après) :
On observe d’une manière générale que dans les pays riches, l’augmentation de l’accès à l’enseignement supérieur accroît le chômage des non-diplômés (déclassement relatif), sans effet sur celui des diplômés.
L’employabilité respective des différentes populations, étudiée au moyen de six types de taux de chômage, apparaît par ailleurs comme une réalité pérenne qui se maintient dans chacun des clusters sur de longues voire très longues périodes et correspondent à des résultats durables de situations socio-économiques très caractéristiques des différents clusters, ou de chacun des pays. Ces comparaisons internationales démontrent combien l’enjeu de l’employabilité des jeunes porte sur la capacité à employer tous les niveaux de qualification, des moins qualifiés aux plus qualifiés. L’enjeu réside également dans l’aptitude des pays à adapter le niveau et le type de qualification de leur population active aux besoins de leur économie.
Question 5 : Dans les cas où des corrélations significatives existent, en particulier entre accès à l’enseignement supérieur et chômage des jeunes diplômés, quelle force de ces corrélations et peut-on construire des modèles de prédiction du taux de chômage des jeunes diplômés ?
Deux modèles ont été testés :
Conclusion
L’étude montre ainsi que le développement économique et l’accès à l’enseignement supérieur sont liés dans les pays dont le PIB/hab (ppa) est inférieur à 15 000 $, mais deviennent indépendants au-delà. Ainsi, dans les pays riches, accroître l’accès à l’enseignement supérieur, en particulier généraliste, ne garantit pas un meilleur accès à l’emploi. La part des jeunes en emploi n’augmente pas avec cette hausse.
En revanche, dans les pays développés où l’insertion des jeunes et des non-diplômés est difficile — comme en France —, un accès élargi à l’enseignement supérieur améliore l’employabilité des diplômés mais dégrade celle des non-diplômés, sans effet sur le chômage global, probablement en raison de « l’effet signal » du diplôme.
Par ailleurs, dans les pays où le taux d’accès à l’enseignement supérieur dépasse déjà 50 %, l’augmentation de ce taux n’a aucun effet sur le chômage des jeunes diplômés quatre ans après. Ce constat ne résulte pas d’un biais lié à l’effet des clusters : les caractéristiques d’employabilité sont stables dans le temps et reflètent des structures socio-économiques durables.
Le défi, dans les pays riches, est celui de l'employabilité de ceux qui sont faiblement diplômés.
Pierre Tapie, cofondateur du cabinet Paxter
Caractéristiques des pays des 5 clusters identifiés
Note
(1) Le clustering est une méthode d'analyse statistique utilisée pour organiser des données brutes en silos homogènes. A l'intérieur de chaque grappe, les données sont regroupées selon une caractéristique commune. L'outil d'ordonnancement est un algorithme qui mesure la proximité entre chaque élément.
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